Dossier : Le 28 novembre 1944, Plobsheim est libéré

En ce 80e anniversaire de la libération, l'association Le Giessen tient à rappeler cet événement qui a permis à Plobsheim de sortir enfin des tourments de la guerre et de redevenir une commune française.

Retrouvez sur le site du Giessen la lettre du soldat (ci-après) ainsi que l'intégralité des témoignages :  https://www.legiessen.com

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Fête de la libération avec des enfants de Plobsheim (photo prise en 1945 ou 1946)
Fête de la libération avec des enfants de Plobsheim (photo prise en 1945 ou 1946)

Le 28 novembre 1944, à 7h 30 précises, le Groupement tactique Dio, la 2ème division blindée du Général Leclerc, quitte Strasbourg en direction de Plobsheim où il arrive vers 8h30. Dans le virage, à l'entrée nord du village, une auto-mitrailleuse de l'avant-garde saute sur une mine anti-char en franchissant une barricade piégée. Laissant au Service de Santé de l'armée le soin de s'occuper des deux soldats blessés aux jambes, tous les autres véhicules et blindés obéissent aux injonctions pressantes de Leclerc : contourner l'obstacle sans s'arrêter. Ils prennent le chemin de terre boueux vers l'ouest (actuelle rue Aristide Briand) et ils reviennent par la rue de la Ville sur la Route Nationale (actuelle rue du Général Leclerc) à hauteur de la ferme Kapp (cabinet du Dr Ortega). Puis en contournant une barricade constituée par une motrice de tramway, un pilier de l'entrée du jardin des enseignants est couché. Les véhicules ressortent de la cour du château en renversant là aussi l'un des piliers du portail. Les chars et blindés continuent ensuite leur avancée sans rencontrer de résistance. Les soldats allemands ont déjà quitté Plobsheim ce matin-là.

Devant l'église protestante, un char ouvre le feu et tire dans l'église, pensant qu'il y avait à l’intérieur un canon antichar embusqué qui attendait la colonne blindée. L'obus entre dans l'église, percute plusieurs bancs pour finir sa course dans le mur en pierre à droite de la chaire, sans exploser.

On peut certes se demander si ce tir était vraiment nécessaire. Mais il faut rappeler qu'une demi-heure plus tôt, une mine antichar avait fait deux blessés à l'entrée du village et que plusieurs barricades barraient les rues , même si elles n'étaient pas défendues et rapidement contournées. D'autre part, il faut savoir qu'à cette époque, une véritable forêt entourait l'église et cachait le bâtiment jusqu'à hauteur des vitraux de la tribune. Il s'agissait donc probablement d'un tir de harcèlement destiné à débusquer d'éventuels tireurs. Un tir semblable avait d'ailleurs frappé quelques instants auparavant, pour la même raison, une maison dans la rue de la Retraite.

Le général Leclerc à Reinhardsmunster (ECPAD)
Le général Leclerc à Reinhardsmunster (ECPAD)

Parmi les premiers véhicules sur le chemin de terre (actuelle rue A. Briand), il y a aussi la voiture automobile conduite par un photographe de l'armée, avec ses appareils et caméras. Il s'embourbe dans les ornières creusées par les chars. Dans le feu de l'action, le blindé qui suit le pousse immédiatement dans le fossé pour permettre au convoi de poursuivre sa progression. Personne ne s'arrête. Dans le courant de l'après-midi, le fermier Alfred Wilm de la rue Bellevue le dépanne avec son attelage composé d'un bœuf et d'une vache et la voiture sort enfin du bourbier. De ce fait, on ne trouve aucune photo ou film officiels pris sur le vif lors de la libération de Plobsheim.

Quelques hommes investissent alors la mairie installée à l'époque dans le château et un feu de joie est allumé dans la cour en faisant brûler divers documents. D'autres raccompagnent à la mairie l'ancien maire, Michel Goetz, qui avait été destitué par les Allemands en 1943. Il signe le jour-même le premier acte de naissance de Plobsheim libéré, celui de la fille du garde-forestier, née dans la nuit du 27 au 28 novembre 1944, prénommée Anne-Marie France, en souvenir de ce jour historique. Après avoir inspecté toutes les maisons, des soldats restent sur place afin de surveiller le village et ses alentours.

 

Pour bien comprendre l'importance de cette libération, revenons en arrière

 Le 1er septembre 1939, la mobilisation générale est déclarée et l’évacuation des plus de quatre cents communes frontalières d’Alsace-Moselle décrétée. Les habitants de Plobsheim sont concernés :  ils ont jusqu’au lendemain pour partir avec un minimum de bagages en direction de Villé, première étape de l'exode, avant d'embarquer dans des wagons à bestiaux d'un train en direction de la Dordogne.

Le 3 septembre 1939 la France déclare la guerre à l'Allemagne.

Char Sherman de la 2e DB fin novembre 1944 (ECPAD)
Char Sherman de la 2e DB fin novembre 1944 (ECPAD)

Le 10 septembre, 850  Plobsheimois exilés débarquent à Port-Sainte-Foy, harassés de fatigue. Ils sont hébergés par les habitants, l'intégration n'est pas des plus faciles. Mais la vie va s'organiser : certains exilés trouvent rapidement un travail en fonction de leur métier et les enfants retournent à l'école. Dix-huit naissances de petits Alsaciens vont être enregistrées à Port-Sainte-Foy entre 1939 et 1940.

L'Armistice est signé le 22 juin 1940
En Alsace, c’est le début de l’annexion. Plobsheim est occupé par l'armée allemande. Les familles reviennent de Dordogne à partir du mois d'août 1940 dans une Alsace nazifiée. La cohabitation se passe tant bien que mal, la grande majorité de la population faisant le dos rond. En 1943, le maire est destitué par les autorités allemandes pour être remplacé par un habitant du village, sympathisant du nazisme, qui devient « Ortsgruppenleiter ».

Par décret du 25 août 1942, le Gauleiter d'Alsace, Robert Wagner, décrète l'incorporation de force de certaines classes d'âge dans la Wehrmacht (l'armée allemande). A Plobsheim, de nombreux jeunes hommes vont être incorporés contre leur gré entre 1942 et 1944, sous peine de déportation de leur famille dans le camp de Schirmeck ou en Allemagne.

Et ceux qui n'ont pas encore l'âge  pour  l'armée doivent participer au « Reichsarbeitdienst », cela veut dire qu'ils partent travailler en Allemagne, à l'âge de 17 ou 18 ans. Les jeunes femmes nées entre 1922 et 1926 sont obligées de partir elles aussi en tant que Malgré-Elles. Après une période d'endoctrinement,  elles vont servir de main d’œuvre dans des usines d'armement, dans des fermes, ou encore dans la « Luftwaffe » (armée de l'air allemande).

55 soldats ne reviendront pas.

Deux soldats sont morts sous uniforme français au début de la guerre.  Et 51 incorporés de force (+ deux volontaires) vont laisser leur vie sous uniforme allemand, principalement sur le front de l'Est ou dans le camp de prisonniers de Tambov .  Ces hommes avaient entre 19 et 34 ans.  Dix d'entre eux étaient mariés. Huit d'entre eux étaient père de famille (jusqu'à 4 enfants). Cinq familles ont perdu deux fils. La mention « mort pour la France » sera rajoutée plus tard dans les actes de décès pour les incorporés de force.

A ces 55 morts vont s'ajouter 6 victimes civiles (un tir accidentel, des explosions de mines et des tirs d'obus par les Allemands par-dessus le Rhin en 1945).

Bien plus tard
Si cette guerre va longtemps laisser des traces dans les cœurs des Plobsheimois, elle va aussi faire naitre une véritable amitié avec Port-Sainte-Foy. Le jumelage entre les deux communes est acté en 1998.

 En novembre 1993, une lettre émouvante est adressée à la mairie par un ancien soldat de la 2ème DB. A l'âge de 20 ans, Richard Didio a participé à la libération de Plobsheim et tient à partager ses souvenirs avec les habitants de Plobsheim dans une longue lettre qu'il conclue par : « Ce jour-là, un peu de mon cœur est resté à Plobsheim.»

 Ce texte en souvenir des 61 victimes de Plobsheim dont le nom est gravé à tout jamais sur le monument aux morts.

 Avec nos chaleureux remerciements à Martin Deutsch, « témoin oculaire » de la libération de Plobsheim.
Crédit photos ECPAD : Établissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense.